dimanche 28 avril 2013

Agent L7 - Episode 4 : L'Ile du Docteur Bourreau



On nous avait parachutés au-dessus d’une île minuscule de la mer de Chine, une chiure de mouche infime sur une carte, quelque part entre Hong-Kong et Manille. Un îlot de paix et de verdure avec ses plages minées, ses kilomètres de grillage électrifié, de fils barbelés et ses miradors. Une carte postale pittoresque du Club Med. Et attendez de voir la gueule des Gentils Organisateurs ! Bref…

            On nous avait donc parachutés sur cette île de merde. Quand je dis « on », j’veux dire Killdare et les huiles du DEAD et quand je dis « nous », j’parle de moi et de Peters et Sellers, les agents qu’on m’avait adjoints pour cette mission. Des mecs sympas, ex-repris de justice qui avaient préféré servir leur pays plutôt que de vider leur vessie sur la chaise électrique… J’aime les gens motivés ! J’ai passé quelques temps dans différentes taules aux quatre coins du monde et les taulards sont bien plus dignes de confiance que la plupart des gens avec qui j’ai bossé… sauf quand ils essaient de vous enculer sous les douches. Mais bon, ici l’ordre de mission ne faisait pas mention de savonettes, alors…


 


            Tiens, vu qu’on parle de la mission, autant vous mettre de suite au parfum. L’île paradisiaque que nous avions sous les pieds était en fait le laboratoire, le repaire secret et le terrain d’expérimentation d’un génialissime savant fou nord-coréen qui se faisait appeler – excusez du peu – le Docteur Bourreau. Généticien de talent, bon mis à part pour son côté savant fou, il bossait sans relâche à la confection d’armes biologiques qu’il vendait au plus offrant. Et comme en ce moment, nous n’étions pas les plus offrants, quoi de plus naturel alors que d’aller le calmer en lui envoyant l’arme biologique ultime ? C’est pour ça que j’étais là.

            J’vous passe les détails. On a atterri sans se faire remarquer, on s’est passé de l’autobronzant dans le dos, on a fait un barbecue sur la plage et on a joué au beach-volley.

 

 Nan, je déconne. On a crapahuté pendant quatorze heures dans la jungle, en maudissant les moustiques, mais sans voir la queue d’un apprenti Fu Manchu ou le moindre petit mutant tueur.  La nuit commençait à tomber. Je jetais mon sac à terre.

- On va monter le camp, on le trouvera demain.

            C’est là que ça s’est barré en couille.

            J’avais pris le premier quart pendant que les deux autres dormaient. C’est là que je l’ai entendu. Un rugissement bizarre, à mi-chemin entre le loup en rut et un ado pré pubère qu’aurait les bijoux de famille coincés dans un mixeur. Et c’était pas loin ! J’ai pris Shana – le petit nom que j’ai donné à mon Magnum – et j’ai été faire un tour dans la jungle. Et en avant pour le remake de Predator.

            Ma patrouille n’avait rien donné. Je dis pas que c’était le calme, mais la jungle c’est comme la back room d’un club de San Francisco : il se passe toujours quelque chose et on entend toujours couiner. Cette mission commençait sévèrement à me gaver. J’suis un homme d’action moi, pas un randonneur ! Du coup, j’ai quand même descendu quelques lézards, histoire de pas m’être déplacé pour rien. Putain, quel con j’ai été !

            J’étais revenu à même pas cent mètres du camp quand j’ai entendu la voix de Sellers. Ce mec avait été l’un des meilleurs hommes de main de la Mafia, il avait fendu des crânes et buté des mecs sans jamais sourciller et voilà qu’il gueulait comme une pucelle qu’on déflorait avec un marteau-piqueur. J’ai commencé à cavaler comme un damné et j’ai encore accéléré quand j’ai plus entendu ses cris. A mon retour au camp, je savais plus si j’étais en mission ou devant la bande annonce du dernier Disney.

            La tête de Sellers avait été arrachée du reste de son corps et un orang-outang –ouais, ouais, vous avez pas la berlue – était en train de jongler avec. Merde, c’était le singe de Clint Eastwood ou quoi ? Et je vous parle même pas de Peters ! Sa dépouille traînait face contre terre et un capucin lardait son cadavre de coups de couteau. Je pouvais pas m’empêcher de sourire. La lame était plus grande que le macaque lui-même.


            C’étaient donc ça les fameuses armes biologiques ? Des singes tueurs ? D’un coup j’aurais préféré avoir Charlton Heston comme équipier. Les deux singes s’étaient rendu compte de ma présence et me reluquaient déjà comme si j’étais une banane qu’ils allaient s’empresser d’éplucher. Déjà, l’orang-outang balançait son joujou et avançait vers moi, les poils collés par le sang de Sellers. Comment mes gars avaient pu se laisser avoir par un truc aussi lent ? J’avais largement le temps de dégainer Shana et de viser. Brigitte Bardot allait pas être contente.


 

- Hey Clyde, tu passeras le bonjour à King Kong ! dis-je avant de lui mettre trois bastos dans le crâne.

            Le gros corps gras du singe était pas encore tombé par terre que le capucin passait déjà à l’attaque et là ce fut une autre paire de manches. Ce petit enfoiré bondissait entre les arbres comme un Viêt-Cong dans une rizière. J’avais pas le temps de viser. Qu’importe… une grenade dans les gencives n’allait pas en laisser grand-chose.

- Babouche, appelai-je. Viens chercher ça !

            Adieu boule de poil ! Les morceaux fumaient encore quand j’entendis un bruit derrière moi. J’avais pas besoin de me retourner pour savoir qu’ils étaient trois et que deux d’entre eux étaient sacrement balèzes. Une petite voix nasillarde émit un petit cri apeuré en voyant le massacre.

 

- Cornelius ! Zira ! Vous les avez tués !

            Je me retournais. Mesdames et messieurs, je vous présente le sinistre Docteur Bourreau, son crâne chauve, ses petites lunettes et ses cinquante kilos tout mouillé. Pas vraiment l’idée qu’on se fait d’un génie du mal. Ses gardes du corps par contre… des vrais gorilles, et je parle pas métaphoriquement. Des fichus primates dont l’un tenait un Ak-47 et l’autre une tronçonneuse. De mieux en mieux… Je savais pas encore comment j’allais m’y prendre pour m’en tirer, mais au moins la cible avait fini par se dévoiler d’elle-même.

- Docteur Bourreau, je présume ?

- Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous fait à Cornelius et Zira ?

- Vous voulez dire que ces « choses » ont des noms ?

            Il ne répondit pas, trop occupé à ramasser les morceaux de Cornelius ou de Zira… le capucin. J’avais pas vraiment regardé lequel des deux avait des baloches. Le gorille avec l’Ak-47 le pointa vers moi. Vous avez déjà vu une situation plus zarbi vous ? Moi, non et croyez moi, le zarbi ça me connaît.

- Mes bébés… mes pauvres bébés… Espèce de monstre !

            Toujours les mêmes noms d’oiseaux quand vous vous en prenez aux enfants de quelqu’un. Ça commençait à puer sévère pour mon cul. Il allait falloir gagner du temps et improviser.

- On m’a envoyé ici pour vous tuer, dis-je.

            Ouais… j’aurais pu faire mieux mais j’étais pas en forme. Au moins j’avais gagné trois secondes. La voix du Docteur déraillait quand il se mit à hurler.

- Joe ! Amy ! Tuez-le !


            Vu la paire de noix de coco du gorille qui tenait la tronçonneuse, Amy était celle qui portait l’AK. L’avantage c’est qu’avec ses grosses pattes, elle avait quelques problèmes pour viser. De la première rafale, seule une balle m’atteignit à l’épaule. Une égratignure ! Elle n’eut pas le temps de tirer une deuxième fois que j’étais déjà sur elle. J’aurais du y réfléchir à deux fois. Petit rappel de cours de sciences naturelles : un gorille, même femelle, est plus fort qu’un homme ! Elle m’envoya la crosse de son arme dans le menton et j’ai cru que ma tête allait se détacher de mon cas. Je crachais du sang et quelques morceaux de dents pendant que la guenon s’apprêtait à m’en remettre une rafale dans la tronche. J’allais pas me laisser avoir.

            Derrière moi, j’entendis le vrombissement caractéristique d’une tronçonneuse. Croyez-moi, je connais ce doux ronron depuis mes treize ans. Si vous trouvez que c’est une jolie mélodie, attendez de l’entendre monter dans les aigus quand elle commence à découper l’os. Le mâle avait l’air de savoir s’en servir en plus. Je me tenais à distance, tout en veillant à ce qu’il reste entre moi et sa copine au cas où elle déciderait soudainement de me remettre quelques bastos dans le buffet. Pourtant, il allait bien falloir en finir à un moment ou à un autre.

            Joe se jeta sur moi, la lame de la tronçonneuse en avant. En me penchant pour esquiver, je me saisis du couteau planqué dans ma botte. Les deux primates et leur papounet ne le savaient pas encore, mais c’était fini pour eux. Je connaissais pas bien l’anatomie d’un singe, mais j’avais une espèce de don pour savoir ce qui faisait mal aux gens. Le gorille n’eut pas le temps de se redresser que déjà, il s’effondrait la gorge tranchée. Deux secondes. Sa femelle n’eut même pas le temps de comprendre que son jules venait d’y passer que déjà j’avais ramassé la tronçonneuse et la lui balançait droit dans la face. Quatre secondes. Agent L7 : 1 – La Planète des Singes : 0.

- T’avais déjà pas une gueule de porte bonheur à la base, déplorais-je en retirant l’instrument de jardinage de la masse écarlate qui lui avait servi de visage.

            Il ne restait plus que moi et le gentil Docteur. Ce génie du Mal d’opérette était en train de pleurnicher en rampant misérablement le plus loin possible. Son cerveau, autrefois brillant, avait du se faire la malle devant tant de violence gratuite. J’avais déjà vu ça avant… souvent. Il marmonnait des choses incompréhensibles. Je fis vrombir une nouvelle fois la tronçonneuse. Quitte à le buter, autant que ça soit fun. Il se tourna vers moi, se mit à genoux et me lança des poignées de terre.

- Ne me touchez pas avec vos sales pattes, maudit humain !

            Comme si j’avais ramassé la tronçonneuse pour faire ça à la main.



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