vendredi 27 juin 2014

Review : Batman - Arkham Asylum (Urban Comics)

S'il y a pléthore de termes qu'on utilise à tort et à travers dans le milieu du comics (anti-héros, crossover, révélations...), il y en bien un qui a perdu de sa valeur au fil des années, c'est bel et bien "Graphic Novel". Pourtant, ça n'a pas l'air si compliqué. Un roman graphique c'est un comics qui associe une haute qualité d'écriture et des graphismes qui - s'ils ne sont pas artistiques - auront au moins le mérite d'être atypiques. Une alliance de la forme et du fond au service de l'art qui est flagrante dans des œuvres comme From Hell, 300 ou Arkham Asylum.
 
 
Arkham Asylum : A Serious House on Serious Earth dans son titre original commence comme tant d'autres histoires de Batman : les détenus de l'asile d'Arkham ont ouvert leurs cellules. La comparaison avec les autres histoires de l'homme chauve-souris s'arrête là... Plutôt que de s'enfuir, les criminels - Joker en tête - prennent le personnel en otages et ne les relâcheront qu'à une seule et unique condition : que le Chevalier Noir vienne les rejoindre là où est sa véritable place.
 
 
S'ensuit alors un jeu du chat et de la souris dans les couloirs hostiles au cours duquel notre héros devra faire face à Maxie Zeus, Le Chapelier Fou, Killer Croc, Gueule d'Argile et Double-Face, mais aussi et surtout à lui-même. Plongé au milieu de ses ennemis, qu'est ce qui le différencie vraiment de ceux qu'il a juré de combattre ?
 
 
Je parlais de qualité d'écriture et elle est bel et bien là. Grant Morrison nous entraîne dans une relecture tordue d'Alice au Pays des Merveilles. Batman se débat dans un dédale de folie dans tout ce qu'elle a de plus glauque et de malsain (les allusions aux tendances pédophiles du Chapelier, l'incapacité de Double-Face à prendre seul un choix aussi simple que d'aller aux toilettes...). A côté de ça, nous avons droit à une "origins story" ! L'histoire d'Amadeus Arkham, fondateur de l'asile qui y finira lui-même interné. Une histoire poignante et dérangeante sur la chute libre d'un homme intelligent et foncièrement bon dans une pathologie mentale sans retour.
 
Et Dieu sait qu'ils ont été nombreux les hommes bons à être internés sans raison
 
J'avais aussi mentionné qu'un Graphic Novel se devait d'avoir des graphismes atypiques... Je n'aime pas m'extasier, mais il faut bien dire que les dessins... les fresques de Dave McKean ont largement leurs places dans une galerie d'art. C'est pas compliqué... il a dessiné la folie... la folie viscérale cachée dans le cœur de tout homme. Jamais je n'avais vu un Joker aussi terrifiant que celui d'Arkham Asylum. Jamais Batman n'a été une créature aussi nocturne et démoniaque que dans cet album.
 
 
Indescriptible est un mot qui vient facilement à l'esprit quand on parle d'Arkham Asylum. Indescriptible parce qu'il n'y a pas de mots pour parler du trait de crayon de l'artiste. Indescriptible car on peut résumer son histoire sur un timbre poste et la relire encore et encore en y voyant quelque chose qu'on n'avait pas vu, comprendre un détail à côté duquel on était passé...
 
Et parfois, on ne comprend pas tout court ce qu'on est en train de voir...
 
En fait, c'est pas indescriptible du tout, c'est la définition même de ce que devrait être un Graphic Novel.

mardi 17 juin 2014

Review : Miracleman #1 (Panini Comics)

Note de la rédaction : suite aux démêlés juridiques autour de la sortie de cette album et en soutien à Marvel Comics, l'équipe de Fun en Bulle a choisi de ne pas citer nommément le "scénariste originel". En plus, ça peut nous éviter un procès, alors jouons tous ensemble à "Trouvons qui ressemble le plus au Scénariste Originel"
 
 
Attention chef d'œuvre ! Le terme peut sembler galvaudé ou extrême, mais remettons les choses en contexte. Être passé à côté de Miracleman pendant tant d'années pour de basses raisons légales est un incommensurable gâchis. Cette œuvre trouve assurément sa place au milieu des comics de Roger Moore et n'a pas à rougir devant Watchmen, V pour Vendetta ou La Ligue des Gentlemen Extraordinaires.
 
Beaucoup trop "sainte-nitouche" pour être 'Le Scénariste Originel"
 
Le Mini-Deluxe proposé par Panini nous offrant en guise d'amuse-gueule une histoire du Miracleman par Dick Anglo, revenons à la base de la série. A l'origine, Marvelman (car c'est là son premier nom) était une série britannique datant des années 50 qui se voulait le pendant européen du Captain Marvel de Fawcett Comics. Le jeune journaliste Micky Moran se voit doté de pouvoir atomiques et devient le tout puissant Marvelman en prononçant le mot magique "Kitoma" ("Atomique" en verlan). Le héros sera bien vite rejoint dans sa lutte contre criminels et extraterrestres en tous genres par deux compagnons : Young Marvelman et Kid Marvelman. La série perdura jusqu'en 1959 avant de disparaitre et la Marvelman Family ne donne plus signe de vie.
 
 
Ce n'est qu'en 1982 que le personnage fera son grand come-back dans les pages de l'anthologie Warrior. Le scénario est alors confié au grand Julianne Moore et c'est là que l'explosion de cerveau peut commencer comme il se doit.
 
Beaucoup trop "chic" pour être "Le Scénariste Originel"
 
On retrouve Micky Moran plus de 20 ans après sa dernière aventure. Il est devenu un homme vieillissant, ayant du mal à joindre les deux bouts et complètement inconscient de son passé glorieux. Lors d'un reportage, il se retrouve pris en otage dans une centrale nucléaire et, par un hasard des circonstances, redevient Miracleman ! Le héros étincelant peut alors recommencer à voler au secours de la veuve et de l'orphelin.
 
 
Sauf que pas du tout en fait ! C'est là que la frustration de ne pas avoir lu cette série plus tôt prend toute son ampleur. Miracleman n'est ni plus ni moins que le point de départ d'un thème cher à Demi Moore : la déconstruction du héros.
 
Beaucoup trop "proche de Patrick Swayze" pour être "Le Scénariste Originel"
Oubliez le monde idyllique des 50's ! L'auteur nous entraîne dans des 80's sordide où l'innocence, les aventures à quatre sous et surtout l'héroïsme n'ont plus leur place. Il n'y a qu'à voir le traitement réservé au personnage de Big Ben pour comprendre que les héros gentillets ne sont plus armés face au monde d'aujourd'hui. Affronter son pire ennemi en plein Londres aura désormais des conséquences funestes.
 
 
Assez semblable à ce qu'il a pu faire sur Captain Britain à la même époque, Lova Moor fait table rase de ce qu'on pensait acquis sur son héros et redéfinit complètement son univers, ses alliés et ses ennemis. Véritable reboot en adéquation avec l'air du temps (l'air du temps de l'époque), le personnage ne manquera de vous rappeler certains héros d'aujourd'hui : Sentry, Superman, Hypérion (version Supreme Power)...
 
Beaucoup trop "branchée" pour être "Le Scénariste Originel"
 
Ajoutez à cela le travail de dessinateurs comme Alan Davis, Steve Dillon ou Don Lawrence qui confèrent à leur héros une allure quasi messianique et je n'ai pas peur de vous dire que vous tenez entre les mains une bombe qui aura mis bien trop longtemps à nous exploser à la face.
 
Lire Miracleman aujourd'hui c'est comprendre ce qui est à l'origine de Watchmen, c'est percevoir que le choc des héros bien propres sur eux avec un monde qui ne l'est plus, n'est pas l'apanage de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires et c'est être convaincu que Mandy Moore est vraiment "le plus grand scénariste de sa génération".
 
Le Scénariste Originel ? On a rien de plus approchant pour l'instant...


lundi 9 juin 2014

VO-Day : Big Trouble in Little China #1 (Boom ! Studios)

Quand un malabar de deux mètres vous pince le cou entre ses mains et envoie votre petite tête favorite se fracasser contre le mur d'un bar et vous regarde droit dans les yeux et vous demander si vous êtes excités à l'idée de la sortie de Transformers 4, vous n'avez qu'à le regarder aussi en plein dans les yeux et vous rappeler ce que Rémy Lebeau dit toujours à celui qui veut savoir "Est ce que t'es excité à l'idée de la sortie de Transformers 4 ?"... "Non Monsieur, moi je suis né dans les années 80."
 
Et le samedi, j'allais au dancing avec mes potes !
 
Film culte autant qu'il est rempli à ras bord de n'importe quoi Big Trouble in Little China (Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin en VF) figure au panthéon des films qui symbolisent l'esprit du cinéma des années 80. Réalisé par John Carpenter et sorti dans les salles en 1986, le métrage donnait l'un de ses plus grands rôles à Kurt Russel dans la peau de Jack Burton, routier baratineur qui affrontait magiciens chinois et karatékas mystiques dans le Chinatown de San Francisco pour aider un de ses amis à sauver sa fiancée kidnappée par un sorcier immortel. Film d'horreur fantastique à la sauce kung-fu flick saupoudré d'une ambiance Indiana Jones et le Temple Maudit, tout était là pour une série à succès.
 
 
Malheureusement, cela ne s'est pas produit et Big Trouble in Little China s'acheva sur un cliffhanger gentillet et on passa des années à croiser les doigts pour revoir ce bon vieux Jack avant de perdre espoir. Hommes de peu de foi que nous étions ! Il suffisait d'attendre 28 ans !
 
Kurt Russell n'a pas pris une ride !
 
Annoncé par Eric Powell (le père de The Goon) et John Carpenter himself en février dernier, le comics Big Trouble in Little China a atteint les comic-shops au début du mois de juin sous le label Boom ! Studios. Big John et Powell se mettent donc au scénario de la suite du film.
 
Et c'est une nouvelle plutôt enthousiasmante...
 
On retrouve Jack exactement là où on l'avait laissé au début du générique de fin, c'est à dire au volant de la Côte de Porc Express alors que "la nuit est sombre, que les éclairs éclairent le ciel, que le tonnerre tonne, que la pluie tombe en rideau de fer et en cordes d'acier, que la terre frémit, que des flèches empoisonnées tombent des nues, que les colonnes du ciel tremblent..." et surtout alors qu'un des monstres au service de Lo Pan (le sorcier que Jack a tué) joue les passagers clandestins à bord de son camion. Cette partie de l'intrigue est bien vite réglée et on apprend que Jack a en quelques sortes "hérité" de ce monstre - qu'il baptisera Pete - en achevant Lo Pan.
 
Il se rendra alors au mariage de Wang Chi et Miao Yin afin de demander au vieux magicien Egg comment se débarrasser de cet encombrant démon. Manque de bol, les disciples de Lo Pan menés par Qiang Wu déboulent pendant la cérémonie pour venger leur maître. Les mariés sont alors pris en otages et le seul moyen de les sauver consiste à suivre la Route Noire pour aller chercher les âmes des trois Trombes - les hommes de mains surpuissants de Lo Pan (mais si... les mecs qui volent... y'en a même un qui gonfle et qui explose à la fin du film) - dans l'Enfer de la Veuve aux Sept Visages. Un défi que Jack s'empressera de relever.
 
Ca vous revient maintenant ?
 
L'avantage de retrouver John Carpenter au scénario est bien entendu la fidélité au matériau d'origine. Jack, Egg ou Wang Chi parlent comme leurs alter-egos du grand écran et on a pas l'impression d'être en face de nouveaux personnages. Toutefois, on sent bien la patte d'Eric Powell dans l'histoire... Le background de Jack était déjà posé par le film, mais ici il s'étoffe et c'est avec plaisir qu'on lit ses digressions et avec joie qu'on découvre que ses aventures à Chinatown n'étaient pas ses premiers démêlés avec l'étrange. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de trouver l'auteur de Billy the Kid et la Foire aux Monstres ici, car le mélange des genres reste quand même son exercice préféré. Il ne serait d'ailleurs pas étonnant que le film soit l'une des sources d'inspiration de Powell...
 
Par contre, le demi-dieu Babylonien en plein milieu du Nebraska, c'est du Powell ça
 
De plus, l'œuvre est drôle, les personnages attachants même si on s'est déjà attachés à eux. Le vilain a du charisme. On tient peut être là une nouvelle licence à la Evil Dead. Reste à espérer que contrairement à cette dernière, la série nous atteindra en France sous une forme ou une autre.
 
Parce que vous ne savez pas ce qu'on a loupé....
 
Niveau dessin, Brian Churilla s'en sort plutôt pas mal. Les personnages sont ressemblants et Jack a une bonne tête de John Wayne des aires d'autoroutes. Le seul bémol reste quand même que j'aurais bien aimé voir Powell dessiner la série... On peut pas tout avoir je pense.
 
Alors les amis, écoutez votre bon copain Rémy le Funambule. Quand il pleut dehors, que la vaisselle s'amasse, que le pain grille et que le fromage fond, votre bon Rémy il ferme sa fenêtre, il lave sa vaisselle et il se fait un croque monsieur en attendant la suite des aventures de son pote Jack Burton et il croise les doigts pour qu'un éditeur français ait l'excellente idée de nous proposer un TPB d'ici quelques mois. A bon entendeur...

mercredi 4 juin 2014

Review : Fatale #3 - A l'Ouest de l'Enfer

Les duos... sujet fascinant de l'univers des comics. Nombreux sont ceux qui font encore de nos jours des blagues déplacées sur les relations de Batman et Robin, mais l'homme chauve souris et son esclave sexuel sont loin d'être le seul binôme de l'industrie : Green Arrow et Green Lantern, Luke Cage et Iron Fist, The Goon et Frankie, Astérix et Obélix... Ed Brubaker et Sean Phillips... Je sais que les deux derniers noms ne sont pas des personnages de BD mais je cherchais juste de quoi faire une intro.
 
Et c'était une entrée fracassante
 
Déjà responsables des superbes séries Criminal et Incognito, Brubaker et Phillips reviennent sur les étagères de nos librairies préférées avec le troisième tome de leur série Fatale. Publiée par Image depuis Janvier 2012, l'histoire est bien plus ancienne que ça. Elle démarre de nos jours lors de l'enterrement de Hank Raines, journaliste devenu écrivain, lorsque Nick rencontre la belle et mystérieuse Joséphine... Non, l'histoire commence dans les années 70, lorsqu'un couple d'acteurs poursuivi par une secte trouve refuge chez... Joséphine... Plus tôt encore... Dans les années 50, alors... Hank Raines enquête sur un flic ripou et rencontre la femme que ce flic a sauvé d'une messe noire pendant la seconde guerre mondiale... une nommée Joséphine...
 
Une autre...
 
Vous l'aurez compris, résumer l'intrigue de Fatale est loin d'être une sinécure tant les origines et le passé de son héroïne reste voilés de mystères. Tout ce qu'on sait d'elle c'est qu'elle ne vieillit pas, qu'elle a un étrange pouvoir sur l'esprit des hommes et des créatures Lovecraftiennes sont à sa recherche. Ce troisième tome s'amuse d'ailleurs à brouiller encore les pistes en nous emmenant dans les grandes plaines de l'Ouest américain à l'époque des cow-boys et des Indiens ainsi que dans la France moyenâgeuse sur les traces d'autres femmes ayant les mêmes dons que Joséphine.
 
ou le même anti-rides

Si Criminal donnait dans le polar hard-boiled et que Incognito traitait des super-héros à la sauce pulp, Ed Brubaker balance dans Fatale le mystère et l'étrange des romans bons marché des années 30, 40 et 50 (d'ailleurs les éditions VO sont complétées par les biographies d'auteurs comme Lovecraft, Edgar Allen Poe ou Phillip Marlowe). Sectes, possessions, démons, hommes de main aussi violents qu'ils sont monolithiques et des héros qui se battent pour une femme qu'ils connaissent à peine. Le titre n'est bien entendu pas choisi au hasard... Jo est l'archétype de la femme fatale dans sa définition la  plus pure et la plus innocente à la fois. Car si elle manipule ses "protecteurs", Joséphine est avant tout la victime d'une machination qu'elle ne comprend pas.
 
Quand on voit des démons nazis, c'est forcement une machination
 
Toutefois, malgré ses influences prestigieuses, Fatale est loin d'être un comics rétro. L'histoire qu'il raconte est aussi intemporelle que son héroïne. Les dessins de Sean Phillips sont exactement ce qu'on attend de son style : sombre, anguleux et biscornus, des visages ridés, soucieux, des tripes et du sang qui éclatent rougissent le gris des rues. Bon, finalement, c'est peut être vraiment un comics rétro, mais en quoi cela serait-il un défaut ? Je déteste faire le vieux râleur qui clame que "C'était mieux avant" mais il y a des domaines où l'adage se vérifie : la musique, le cinéma et les comics... Donc fuck le modernisme !
Même si on est quand même moins cons que dans le temps
 
Petite anecdocte : j'ai beau ne pas vivre dans un bled paumé, obtenir mon exemplaire de Fatale fut un véritable parcours du combattant... J'ai dû réserver et l'obtenir plus d'une semaine après sa sortie. C'est vraiment dommage de voir que des petites perles comme cette série passe encore inaperçues alors que d'autres comics plus "mainstream" occupent les têtes de gondoles bien qu'ils leur manquent ce petit supplément d'âme.
 
Un supplément d'âme que je ne paierais pas avec un supplément frais de port