samedi 23 avril 2016

Review : Suiciders (Urban Comics)

Le monde tel que nous le connaissons n'existe plus... La terre a tremblé et a emporté la société dans son sillage. Des ruines du chaos, la cité des Anges a su renaître et faire peau neuve. New Angeles est née et abrite l'élite derrière ses murs. Une élite dont le mérite semble se mesurer à la largeur du portefeuille et à l'accumulation des visites chez le chirurgien esthétique. Une population vaine et superficielle, que les greffes et autres implants déshumanisent au fur et à mesure qu'ils la rendent parfaite, qui regarde de haut la foule des démunis et autre désœuvrés vivant sous ses murs, dans la triste cité de Lost Angeles.


Seule distraction de ces V.I.Ps : les Suiciders. Des gladiateurs des temps modernes qui se livrent combat dans des arènes mortelles et surtout le plus charismatique d'entre eux, le Saint. Un personnage entouré de mystère dont les origines sont inconnues du plus grand nombre.



Une pincée de Zardoz (pour sa lutte des classes), un soupçon de Los Angeles 2013 (pour son décor et son postulat de départ) et une louchée de Running Man (pour sa violence cathodique), telle est la recette du Suiciders de Lee Bermejo. Il serait cependant réducteur de penser que l'album se contente d'une simple fusion de ces trois illustres sources. Suivant à la fois les machinations meurtrières de l'entourage du Saint pour conserver l'identité de ce dernier secrète et l'arrivée à Lost Angeles d'un immigré cherchant à se faire sa place au soleil à coups de poings, Suiciders propose en réalité différents niveaux de lecture allant bien au delà du banal récit de SF post-apo.



La médiatisation de la violence pour contrôler les foules, la prise de pouvoir des corporations et même une certaine vision du Rêve Américain sont autant de thèmes développés dans l'album. Des problématiques qu'on retrouve ailleurs, certes... mais ici le scénario est suffisamment intelligent pour nous y faire vraiment réfléchir. La conclusion notamment, vous donnera immédiatement envie de reprendre l'album du début pour comprendre comment les choses ont pu en arriver là.



Ce qui démarque également Suiciders du tout-venant ce sont les planches de Lee Bermejo. Son talent n'est plus à prouver depuis bien longtemps, mais il semble s'être surpassé ici. Chaque ride, cicatrice ou blessure est si profondément marquée qu'elle n'est pas qu'une partie du look d'un personnage, elle en imprègne son âme.



De même tout l'album fonctionne sur une dualité visuelle. Les scènes situées à New Angeles ont des teintes bleues, métalliques et froides tandis que la chaleur orangée baigne les errances des pauvres âmes de Lost Angeles. Seuls les combats - clandestins ou télévisés - semblent échapper à ces filtres, comme s'ils étaient tout ce qu'il subsiste du monde réel, la seule vérité qui n'ait pas été altérée : celle des coups et du sang. Un constat étrange mais qui laisse à penser que l'album n'a pas encore révélé toutes ses clés de compréhension...


Avec au moins un deuxième volume prévu (Suiciders : King of Hell.A) qui devrait venir enrichir et développer son univers (car il est certain que nombres de trous dans l'intrigue demandent à être comblés... comme ce qu'est Mulholland... à part un nom qui risque de m'embrouiller le cerveau jusqu'à la fin de mes jours... merci David Lynch), Suiciders tient assurément toutes ses promesses.

vendredi 15 avril 2016

Review : Rumble - La Couleur des Ténèbres (Glénat Comics)

Quand je vous disais que Glénat était l'éditeur à surveiller en ce moment... Après les claques que furent Evil Empire, Lazarus ou Ragnarök, j'attendais avec impatience ce premier tome de Rumble, série originale de John Arcudi et James Harren publiée chez Image Comics. Pourquoi ? Tout d'abord parce qu'Arcudi a été le fidèle complice de Mike Mignola sur nombre de séries du Hellboy-verse et parce que le pitch m'intriguait au plus au haut point.


A l'aube des temps, une guerre fit rage entre les dieux et les monstres. Invincible guerrier du camp divin, Rathraq fut capturé par traitrise lors des derniers jours du conflit et son âme dut attendre plusieurs millénaires avant de recouvrer sa liberté. Possédant le corps d'un épouvantail, le dieu vengeur revient aujourd'hui dans un monde déserté par ceux de sa race et dans lequel les monstres d'antan ont prospéré en secret au sein de la société humaine.


Encore empli de l'envie d'en découdre, Rathraq fera fi de sa nouvelle apparence et saisira de son épée pour retrouver les monstres et obtenir vengeance pour son triste sort. Son chemin croisera celui de Bobby, un jeune barman un tantinet loser, pour qui il se prendra inexplicablement d'affection.


Il manque peu de choses à Rumble pour être un chef d'oeuvre à vrai dire. Un scénario un peu plus original et une certaine régularité dans l'importance de ses scènes. En effet, le premier tiers de l'album se résume quelque peu à "Rathraq arrive, coupe un monstre en deux... et on enchaine sur une scène qui n'a rien à voir et qui va rester cryptique pendant encore quelques temps". Dommage quand tout le reste de la saga démontre un véritable potentiel.



Notamment dans le coup de crayon fluide et fuyant de James Harren. Sa galerie de créatures est, à n'en point douter, fascinante : hydres, démon de feu et autres créatures ailées ont un look original à la fois rétro et novateur. De même l'alternance entre les décors majestueux et mystérieux que l'on aperçoit dans les flashbacks de l'époque où les dieux foulaient la Terre s'opposent clairement aux immeubles délabrés et couverts de graffitis et au parc d'attraction tombé en décrépitude de notre monde actuel : ou comment une civilisation sur le déclin parait plus noble que celle qui est censée être à son apogée.



C'est justement dans ces contrepieds que même la thématique de l'album devient intéressant. J'ai trouvé le scénario aussi convenu qu'une blague des Grosses Têtes, mais Arcudi parvient néanmoins ça et là à disséminer un élément de surprise. La relation entre l'âme du noble guerrier qui cherche à récupérer son corps et le loser désabusé qui n'a pas plus envie que ça de trouver son âme ne s'orientent pas dans la direction à laquelle on peut s'attendre.


Sorte d'ode à une certaine noblesse de la violence, Rumble bénéficie néanmoins de dialogues dans lesquels l'épique le dispute à l'humour, notamment via le personnage de Del, le coloc redneck de Bobby qui se prend pour un Conan urbain dès que Rathraq rentre dans leur vie sans jamais pouvoir effacer sa bêtise crasse. De même la philosophie de comptoir de Bobby qui semble plus intéressé par sa vie amoureuse que par les découvertes qu'il a fait sur le monde qui l'entoure vaut son pesant de cacahuètes.


En conclusion, même si j'ai du mal à adhérer à 100% à Rumble, l'album démontre quand même que la série en elle-même mérite d'être suivie, ne serait-ce que pour savoir si ce terreau d'idées saura faire germer les graines de la grandeur qui y ont été plantées. Une information que je me ferais un plaisir de vous communiquer dès que j'aurais moi-même la réponse.

vendredi 8 avril 2016

Review : Big Man Plans (Delcourt)

Si vous retournez cet album, vous verrez la mention "Pour Lecteurs Avertis" dans son panneau rouge. A une époque où des enfants de 11 ans parlent sans aucune pudeur du dernier épisode de The Walking Dead dans lequel un personnage se fait déchiqueter par une meute de mort-vivants sous l'oeil concupiscent de la caméra ou demandent à leur gentille - bien qu'ignorante - maman de leur offrir le dernier tome de Kick-Ass, on pourrait penser que ce terme est galvaudé. Ne vous y trompez pas, Big Man Plans n'est pas du tout à mettre entre toutes les mains.
 
Mais on ne peut pas empêcher certains parents d'être des idiots...
C'est à peine remis de la lecture d'un treizième tome de The Goon qui prend véritablement aux tripes que je me suis lancé dans la lecture de cette mini-série en 4 épisodes signé Eric Powell, le papa du gros bras de Lonely Street. Cependant, si The Goon parvient à se ménager des moments d'humoir - noir, certes mais c'est si drôle - entre deux scènes de violence physique ou psychologique, il n'en est rien ici...


Prenez à un homme tout ce qui fait de lui un être humain : sa dignité, sa famille, son humanité et l'amour et vous obtiendrez notre héros : un nain qui - tout au long de l'histoire - n'aura pour seuls noms que les injures, les moqueries et les surnoms dont l'affubleront les gens "normaux". Orphelin dès l'enfance, il entrera dans une unité spéciale de l'armée où on lui apprendra à devenir une machine à tuer lors de la guerre du Viet-Nam.


Revenu à la vie civile, il restera un inadapté social jusqu'au jour où une lettre mystérieuse le ramènera dans son village natal pour une vendetta violente et sanglante dont les tenants et les aboutissants ne nous seront révélés qu'au compte-gouttes. Des flashbacks viendront également ponctuer cette effroyable et implacable vengeance, l'occasion de comprendre ce qui a fait de notre homme ce qu'il est aujourd'hui.

Car oui, c'est un homme. Bien que l'on retrouve l'obsession de Powell pour les monstres de foire dans Big Man Plans (et si vous connaissez le bonhomme et sa bibliographie, vous savez qu'il a pour les cirques et les freakshows un fétichisme particulier), il a toujours eu le plus profond respect pour les "erreurs de la nature". De la roulotte des curiosités biologiques de Billy The Kid et la Foire aux Monstres  à la petite fille à barbe de Chimichanga, il a souvent démontré que ces "monstres" étaient souvent bien plus humains que ceux qui s'amusaient à leur dépens.


Le propos ici, bien que similaire dans son idée de départ, prend une tournure tout autre quand le Nain comprend que le respect qu'il désirait tant est mort. Armé d'un marteau, il se livrera alors aux pires exactions qu'il m'ait été donné de voir dans les pages d'un comic-book : membres (et vraiment tous types de membres) tranchés, mâchoires arrachées, immolation, scalps... Chaque exaction, chaque scène de nudité ou de violence est décrite sans aucune pudeur dans les planches d'Eric Powell (qui illustre son récit) dont le coup de crayon si caractéristique gagnerait décidément à être enfin reconnu comme celui d'un des plus grands artistes de la scène comics.


Il y aurait sans doute encore beaucoup de choses à dire sur Big Man Plans, mais je pense que c'est tout à chacun de les découvrir. Un grand merci à Delcourt pour cette perle de noirceur, ce pamphlet pour le respect qui vous frappe comme un grand coup dans les valseuses et dont la lecture ne peut laisser personne indifférent.

 

mardi 5 avril 2016

VO-Day : The Vision #1 à #4 (Marvel Comics)

De nouveaux voisins sont arrivés dans le quartier ! En effet, Vision - l'Avenger synthézoïde - débarque dans une banlieue tranquille d'Arlington avec sa petite famille pour mener une vie tout ce qu'il y a de plus normale. Toutefois, comment la vie peut-elle être normale quand vous avez vous même créé votre femme et vos enfants ? Comment le voisinage va-t-il accepter cette famille pour le moins all-new et all-different ? Autant de questions que nous pose la nouvelle série The Vision, la 3ème consacrée au plus mystérieux des Avengers.


Sorte de mix étrange entre Desperate Housewives et une histoire de super-héros classique, The Vision apporte un souffle de fraicheur pour tous ceux qui cherchent quelque chose d'original et d'intelligent. Le scénario de Tom King laisse de côté l'héroïsme pur et dur pour se pencher vers des situations tenant plus du sitcom. Un sitcom où les personnages principaux seraient des robots cherchant à devenir humains.



Car c'est là le thème de la série : qu'est ce que la normalité ? Vision et son épouse Virginia essaient d'agir comme des êtres humains, quant bien même ils n'approuvent pas la logique des actions qu'ils doivent entreprendre. Leurs "disputes" à coups d'arguments sémantiques sont d'ailleurs un parfait exemple du soin apporté à l'écriture de la série.



De même, Vin et Viv, les jumeaux du couple doivent apprendre à se comporter comme des adolescents ordinaires. Entre peur d'être rejetés et premiers béguins, les rebondissements les concernant sont tout aussi délectables que les aventures de leurs géniteurs. D'ailleurs... on en parle tout de suite des gens qui construisent des robots pour essayer de devenir humain ?
 
Non parce que...
Puis aussi...
et surtout...
Ajoutez à cela Le Moisonneur, Agatha Harkness, un meurtre, des voisins curieux et l'imminence de la fin du monde provoqué par l'un des membres de la famille et vous aurez une série palpitante autant qu'elle est drôle (Madame Vision qui devient intangible pour faire tomber sa culotte...) sombre (certains membres de la famille vont subir de vrais traumatismes dans leur quête d'humanité) et intelligente. 


Les planches de Gabriel Hernandez Walta rendent tout à fait justice à l'atmosphère de noirceur sous le vernis de ce quartier résidentiel où le temps semble s'être arrêté. Les sourires sont forcés, les yeux écarquillés d'une horreur catatonique et les seuls personnages à ressortir du paysage sont ceux qui cherchent justement à s'y fondre.


A l'heure où des séries comme Avengers et consorts surfent sur la vague du bigger and louder pour contenter le public qu'ils ont séduits dans les salles obscures, il est vraiment plaisant de tomber sur ce genre de séries plus... confidentielle. Il ne reste plus qu'à croiser les doigts et à espérer que Panini nous propose les aventures de la famille Vision dans un format digne de ce nom... après tout ils ont bien sorti Howard the Duck.