Agent L7 : Bons Baisers de Tchernobyl
- Un martini,
demanda la blondasse. A la cuillère, pas au shaker.
- Une vodka…
et t’éloigne pas trop ! Ses petites sœurs vont suivre.
C’était pas sous prétexte
que j’étais en mission que j’allais me mettre à boire comme une
tantouze. Déjà que le D.E.A.D m’avait fait mettre un smoking. En
plus, la mission était officiellement finie depuis que ce type de la
mafia russe avait touché le fond de la Volga. Les Al Capone ruskoffs
pigeraient vite fait le message : on ne vend pas d’armes aux
ennemis des Etats-Unis sauf si on est un membre éminent du
gouvernement américain. La grognasse était arrivée au bar de mon
hôtel y’avait pas cinq minutes et elle me sortait déjà le grand
jeu. Une fille qu’a autant envie d’être invitée dans votre
piaule a toujours une étiquette « Propriété du KGB, merci de
passer en machine avant de nous la rendre » cousue quelque part
dans son string. Faites moi confiance.
James Bond me fait marrer. Vous
vous êtes jamais demandé pourquoi les James Bond girls revenaient
jamais d’un film sur l’autre ? Si ça s’trouve l’espion
chéri de sa très gracieuse majesté est un serial killer. Une
malformation de naissance, un organe plus petit que la moyenne (il
s’appelle pas 007 pour rien) suffisent à rendre un homme fou et à
dézinguer toutes les nanas qu’il fout dans son lit. Moi de ce
côté-là, j’ai aucun problème ! Si elles reviennent pas
d’une mission sur l’autre c’est parce que je garde les têtes.
J’étais en train de fourrer
les draps, les oreillers et les membres restants dans un grand sac
poubelle lorsque le téléphone se mit à sonner.
- Allo ?
- Bonjour
monsieur, ici la réception, nous vous transférons un appel.
- OK… Et
oubliez pas de m’envoyer une femme de ménage.
- Très bien
monsieur.
La
voix de la petite standardiste s’évanouit pour laisser la place à
Ivana Bridge. Ma boss. Y’a qu’elle et Killdare, le grand patron
du D.E.A.D pour me filer les chocottes à tous les coups.
- Comment s’est
passée la mission ? demanda Bridge.
- Le communiste
doit se faire ronger par la poiscaille à l’heure qu’il est. Je
reprends l’avion dès demain.
- Je n’en
doutais pas… Par contre, tu ne repars pas de suite. Le KGB nous a
contactés et il voudrait profiter que tu es dans le secteur pour que
tu les aides dans une mission délicate.
- Le… le
KGB ?
- Oui, le KGB
crétin ! Ils auraient déjà du prendre contact avec toi.
L’officier avec qui j’ai parlé m’as dit qu’elle le ferait en
personne.
- …Elle est
blonde, non ?
- Ne me dis pas
qu’elle l’a fait.
- …Je crois
que si
- Tu es
incorrigible Sept. Rends toi au bureau du KGB dans l’immeuble en
face de la tombe de Lénine et plus de gaffes. N’oublie pas que
Killdare a failli en finir avec toi après le fiasco du camp scout.
Elle raccrocha.
Le camp scout… 28 morts… J’avais plus de bûches pour le feu et
une folle envie de barbecue.
Dans les films d’espionnage,
les agents secrets ont toujours des phrases débiles à sortir avant
de se reconnaître. Ça donne des conversations hautement
intelligentes du genre « Le fond de l’air est frais ce
matin. » « Oui mais l’espadon nage à reculons. ».
Faut pas croire à ces foutaises. Quand je suis arrivé au guichet
des bureaux du KGB, le mec qu’était là m’a dit :
- C’est vous
le tueur du D.E.A.D ?
Point
barre, y’a pas à épiloguer.
J’ai
été reçu comme si j’étais le messie. C’est à ça que j’ai
compris que mes nouveaux amis avaient de gros soucis. Quand ils m’ont
briefé, j’ai pas été déçu. Tchernobyl est un canular !
Une diversion qu’on avait sorti à l’époque pour pas dire aux
gens que la centrale nucléaire qu’avait eu des fuites se trouvait
en réalité dans les égouts de Saint-Pétersbourg. Les Russes ont
alors profité d’avoir une zone interdite au public pour mettre en
place un petit centre d’entraînement pour espions comme celui dont
je suis sorti. Malins comme pas deux, les petits génies du KGB ont
chié dans la colle pour tout ce qui était de la sécurité. Ce qui
devait arriver arriva… Les mecs étaient tombés sur une caisse de
vodka frelatée et l’alcool à hautes doses réagissait mal avec
les drogues dont on les bourrait. Le camp était aujourd’hui aux
mains des agents qui s’y entrainaient. Je me souviens de ma
première cuite. J’avais participé à une expérience sur les
effets de l’alcool sur les mécanismes psychologiques de base comme
le remords, les regrets, la rage… A priori, je suis totalement
insensible.
Le
KGB m’avait refilé un de leurs gars pour me servir de guide.
Petrov. Le genre de gars silencieux avec une lueur de
psychotique dans le regard. Il me plaisait bien. On s’est retrouvés
dans la forêt à crapahuter pendant deux heures avant d’atteindre
le camp. Les cocos avaient bien arrangé le truc. Toute la végétation
avait été couverte d’un isotope radioactif pour que la communauté
scientifique, et les touristes, croient qu’une centrale nucléaire
avait vraiment explosé là. Les poules à deux têtes et les enfants
à trois bras qu’on a montré aux télés du monde avaient reçu un
pont d’or pour quitter les cirques et les autres foires aux
monstres où ils bossaient et venir se pavaner sous les yeux d’un
monde horrifié et voyeur.
Petrov
m’amena directement au camp. Des lambeaux de chair et de tissu
pendaient des fils barbelés des clôtures. Des bouteilles vides et
des têtes décapitées grimaçantes jonchaient le sol. La neige
avait une teinte rosée et sentait l’alcool fort. Je vis même deux
corps calcinés sur lesquels on reconnaissait encore les uniformes
des gardes de l’installation. J’aimais leur style. Efficace,
sanglant, une œuvre d’art. Y’avait encore un côté
« brouillon » mais tout ça était très prometteur.
Le
principe du camp d’entraînement, c’est que les mecs qui viennent
là sont comme qui dirait en formation. J’avais affaire à une
bande d’amateurs qui savaient se servir d’un couteau ou d’un
flingue, mais qui n’avaient aucune discipline. Et vu leur état,
ils allaient forcément commettre des bourdes. Après avoir
transformé les gardes en kebab, ma petite troupe de tueurs shootés
s’était connement endormie dans le réfectoire. Au milieu des
vêtements couverts de sang, des membres charcutés et des flaques
d’urine et de vomi je les vis. Le plus vieux d’entre eux devait
avoir quatorze ans… Bande d’enflures ! Les Rouges avaient
copié le programme du D.E.A.D qui avait fait de moi ce que j’étais.
- Alors
tovaritch, on les bute comment ? murmura Petrov.
- C’est des
gosses…
- Nyet !
Ce sont des tueurs, des malades, des chiens enragés…
Il a pas eu le temps de finir sa
phrase. Avoir le canon d’un flingue enfoncé dans la bouche, y’a
pas plus efficace pour vous couper le sifflet. Deux dents tombèrent
dans la neige sans un bruit.
- JE suis un
tueur…
De
ma main libre, je lui saisis le bras qui tenait son arme. Je connais
53 façons de désarmer un mec dont 20 lui permettent de garder
l’usage de son bras. J’optais pour la plus douloureuse.
- JE suis un
malade…
Je retirais mon flingue du fond
de sa gorge, faisant sauter une autre dent au passage. Je lui brisais
le nez d’un coup de crosse et appliquait le canon couvert de bave
sur son œil.
- Et t’as
jamais vu un chien plus enragé que moi… tovaritch !
Je sais pas si c’est à cause
des cris, mais une fois que j’en avais fini avec Petrov, la
marmaille était réveillée et m’observait depuis la porte du
réfectoire. Soit la gueule de bois les avait rendu groggy au point
de pas me sauter dessus, soit ils avaient compris que j’étais pas
un de leur tortionnaire, que eux et moi on sortait du même enfer.
Celui qu’avait l’air le plus vieux s’approcha de moi, une
machette à la main. C’était lui le chef, le Alfafa de ces
Petites Canailles. Il avait l’expérience du terrain. Il avait tué
des hommes sur des champs de bataille, ça se lisait dans son regard…
le même que le mien.
- Je suis Noah,
dit-il.
- Sept.
- Tu es venu
nous tuer ?
- Pas si vous
la jouez cool. C’est quoi cet endroit ?
- Ils
l’appellent le Terrain de Jeu.
- Sadique comme
nom.
- On les a
tués, on veut se venger.
D’un coup, c’était comme si
tous les marmots avaient retrouvé l’usage de leurs langues.
Certains muaient, d’autres pas encore, tous avaient des larmes dans
la voix.
- Ils ont
emmené nos parents.
- Toujours
derrière nous.
- Y’avaient
des tests.
- On voulait
jouer.
- Plus jamais
ça.
- Toujours des
tests.
- Produits
chimiques et scalpels ont volé notre enfance, notre innocence.
- Les implants
aussi !
- Des tests et
encore des tests !
- Se faire des
copains.
- Pourquoi
nous ? On a rien fait de mal…
- C’était
une prison.
- La prison est
détruite, conclut Noah. On va retrouver nos parents.
Un sourire carnassier devait me
déformer le visage. Une idée venait de germer, suivie d’une
révélation. Je pense pas que le D.E.A.D m’avait envoyé là pour
aider les popovs à nettoyer leur merde.
- J’peux vous
filer un coup de pouce pour ça.
Je quittais la Russie deux jours
plus tard dans un charter rapatriant les touristes étrangers. Le
pays était en guerre civile. J’avais déposé les gamins devant
les bureaux du KGB. Un quart d’heure plus tard, le quartier était
une zone de guerre. Les heures qui suivirent virent le massacre de
tout ce qui portait un uniforme. Des SDF, des anarchistes et des
marginaux avaient pris les armes et rejoint les enfants. Le Kremlin
était actuellement assiégé et la Place Rouge portaient bien son
nom pour une fois. La ville flambait, la panique était générale,
les membres du gouvernement et les militaires haut placés étaient
retrouvés pendus aux lampadaires. On disait que le président russe
avait disparu.
Elles attendaient quoi les
hôtesses pour nous passer un film et nous servir à boire ?
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