Agent L7 - Episode 4 : L'Ile du Docteur Bourreau
On
nous avait parachutés au-dessus d’une île minuscule de la mer de
Chine, une chiure de mouche infime sur une carte, quelque part entre
Hong-Kong et Manille. Un îlot de paix et de verdure avec ses plages
minées, ses kilomètres de grillage électrifié, de fils barbelés
et ses miradors. Une carte postale pittoresque du Club Med. Et
attendez de voir la gueule des Gentils Organisateurs ! Bref…
On nous avait donc parachutés
sur cette île de merde. Quand je dis « on », j’veux
dire Killdare et les huiles du DEAD et quand je dis « nous »,
j’parle de moi et de Peters et Sellers, les agents qu’on m’avait
adjoints pour cette mission. Des mecs sympas, ex-repris de justice
qui avaient préféré servir leur pays plutôt que de vider leur
vessie sur la chaise électrique… J’aime les gens motivés !
J’ai passé quelques temps dans différentes taules aux quatre
coins du monde et les taulards sont bien plus dignes de confiance que
la plupart des gens avec qui j’ai bossé… sauf quand ils essaient
de vous enculer sous les douches. Mais bon, ici l’ordre de mission
ne faisait pas mention de savonettes, alors…
Tiens, vu qu’on parle de la
mission, autant vous mettre de suite au parfum. L’île paradisiaque
que nous avions sous les pieds était en fait le laboratoire, le
repaire secret et le terrain d’expérimentation d’un génialissime
savant fou nord-coréen qui se faisait appeler – excusez du peu –
le Docteur Bourreau. Généticien de talent, bon mis à part pour son
côté savant fou, il bossait sans relâche à la confection d’armes
biologiques qu’il vendait au plus offrant. Et comme en ce moment,
nous n’étions pas les plus offrants, quoi de plus naturel alors
que d’aller le calmer en lui envoyant l’arme biologique ultime ?
C’est pour ça que j’étais là.
J’vous passe les détails. On
a atterri sans se faire remarquer, on s’est passé de
l’autobronzant dans le dos, on a fait un barbecue sur la plage et
on a joué au beach-volley.
Nan, je déconne. On a crapahuté pendant
quatorze heures dans la jungle, en maudissant les moustiques, mais
sans voir la queue d’un apprenti Fu Manchu ou le moindre petit
mutant tueur. La nuit commençait à tomber. Je jetais mon sac
à terre.
- On va monter
le camp, on le trouvera demain.
C’est là que ça s’est
barré en couille.
J’avais pris le premier quart
pendant que les deux autres dormaient. C’est là que je l’ai
entendu. Un rugissement bizarre, à mi-chemin entre le loup en rut et
un ado pré pubère qu’aurait les bijoux de famille coincés dans
un mixeur. Et c’était pas loin ! J’ai pris Shana – le
petit nom que j’ai donné à mon Magnum – et j’ai été faire
un tour dans la jungle. Et en avant pour le remake de Predator.
Ma patrouille n’avait rien
donné. Je dis pas que c’était le calme, mais la jungle c’est
comme la back room d’un club de San Francisco : il se passe
toujours quelque chose et on entend toujours couiner. Cette mission
commençait sévèrement à me gaver. J’suis un homme d’action
moi, pas un randonneur ! Du coup, j’ai quand même descendu
quelques lézards, histoire de pas m’être déplacé pour rien.
Putain, quel con j’ai été !
J’étais revenu à même pas
cent mètres du camp quand j’ai entendu la voix de Sellers. Ce mec
avait été l’un des meilleurs hommes de main de la Mafia, il avait
fendu des crânes et buté des mecs sans jamais sourciller et voilà
qu’il gueulait comme une pucelle qu’on déflorait avec un
marteau-piqueur. J’ai commencé à cavaler comme un damné et j’ai
encore accéléré quand j’ai plus entendu ses cris. A mon retour
au camp, je savais plus si j’étais en mission ou devant la bande
annonce du dernier Disney.
La tête de Sellers avait été
arrachée du reste de son corps et un orang-outang –ouais, ouais,
vous avez pas la berlue – était en train de jongler avec. Merde,
c’était le singe de Clint Eastwood ou quoi ? Et je vous parle
même pas de Peters ! Sa dépouille traînait face contre terre
et un capucin lardait son cadavre de coups de couteau. Je pouvais pas
m’empêcher de sourire. La lame était plus grande que le macaque
lui-même.
C’étaient donc ça les
fameuses armes biologiques ? Des singes tueurs ? D’un
coup j’aurais préféré avoir Charlton Heston comme équipier. Les
deux singes s’étaient rendu compte de ma présence et me
reluquaient déjà comme si j’étais une banane qu’ils allaient
s’empresser d’éplucher. Déjà, l’orang-outang balançait son
joujou et avançait vers moi, les poils collés par le sang de
Sellers. Comment mes gars avaient pu se laisser avoir par un truc
aussi lent ? J’avais largement le temps de dégainer Shana et
de viser. Brigitte Bardot allait pas être contente.
- Hey Clyde, tu
passeras le bonjour à King Kong ! dis-je avant de lui mettre
trois bastos dans le crâne.
Le gros corps gras du singe
était pas encore tombé par terre que le capucin passait déjà à
l’attaque et là ce fut une autre paire de manches. Ce petit
enfoiré bondissait entre les arbres comme un Viêt-Cong dans une
rizière. J’avais pas le temps de viser. Qu’importe… une
grenade dans les gencives n’allait pas en laisser grand-chose.
- Babouche,
appelai-je. Viens chercher ça !
Adieu boule de poil ! Les
morceaux fumaient encore quand j’entendis un bruit derrière moi.
J’avais pas besoin de me retourner pour savoir qu’ils étaient
trois et que deux d’entre eux étaient sacrement balèzes. Une
petite voix nasillarde émit un petit cri apeuré en voyant le
massacre.
- Cornelius !
Zira ! Vous les avez tués !
Je me retournais. Mesdames et
messieurs, je vous présente le sinistre Docteur Bourreau, son crâne
chauve, ses petites lunettes et ses cinquante kilos tout mouillé.
Pas vraiment l’idée qu’on se fait d’un génie du mal. Ses
gardes du corps par contre… des vrais gorilles, et je parle pas
métaphoriquement. Des fichus primates dont l’un tenait un Ak-47 et
l’autre une tronçonneuse. De mieux en mieux… Je savais pas
encore comment j’allais m’y prendre pour m’en tirer, mais au
moins la cible avait fini par se dévoiler d’elle-même.
- Docteur
Bourreau, je présume ?
- Qui
êtes-vous ? Qu’avez-vous fait à Cornelius et Zira ?
- Vous voulez
dire que ces « choses » ont des noms ?
Il ne répondit pas, trop occupé
à ramasser les morceaux de Cornelius ou de Zira… le capucin.
J’avais pas vraiment regardé lequel des deux avait des baloches.
Le gorille avec l’Ak-47 le pointa vers moi. Vous avez déjà vu une
situation plus zarbi vous ? Moi, non et croyez moi, le zarbi ça
me connaît.
- Mes bébés…
mes pauvres bébés… Espèce de monstre !
Toujours les mêmes noms
d’oiseaux quand vous vous en prenez aux enfants de quelqu’un. Ça
commençait à puer sévère pour mon cul. Il allait falloir gagner
du temps et improviser.
- On m’a
envoyé ici pour vous tuer, dis-je.
Ouais… j’aurais pu faire
mieux mais j’étais pas en forme. Au moins j’avais gagné trois
secondes. La voix du Docteur déraillait quand il se mit à hurler.
- Joe !
Amy ! Tuez-le !
Vu la paire de noix de coco du
gorille qui tenait la tronçonneuse, Amy était celle qui portait
l’AK. L’avantage c’est qu’avec ses grosses pattes, elle avait
quelques problèmes pour viser. De la première rafale, seule une
balle m’atteignit à l’épaule. Une égratignure ! Elle
n’eut pas le temps de tirer une deuxième fois que j’étais déjà
sur elle. J’aurais du y réfléchir à deux fois. Petit rappel de
cours de sciences naturelles : un gorille, même femelle, est
plus fort qu’un homme ! Elle m’envoya la crosse de son arme
dans le menton et j’ai cru que ma tête allait se détacher de mon
cas. Je crachais du sang et quelques morceaux de dents pendant que la
guenon s’apprêtait à m’en remettre une rafale dans la tronche.
J’allais pas me laisser avoir.
Derrière moi, j’entendis le
vrombissement caractéristique d’une tronçonneuse. Croyez-moi, je
connais ce doux ronron depuis mes treize ans. Si vous trouvez que
c’est une jolie mélodie, attendez de l’entendre monter dans les
aigus quand elle commence à découper l’os. Le mâle avait l’air
de savoir s’en servir en plus. Je me tenais à distance, tout en
veillant à ce qu’il reste entre moi et sa copine au cas où elle
déciderait soudainement de me remettre quelques bastos dans le
buffet. Pourtant, il allait bien falloir en finir à un moment ou à
un autre.
Joe se jeta sur moi, la lame de
la tronçonneuse en avant. En me penchant pour esquiver, je me saisis
du couteau planqué dans ma botte. Les deux primates et leur papounet
ne le savaient pas encore, mais c’était fini pour eux. Je
connaissais pas bien l’anatomie d’un singe, mais j’avais une
espèce de don pour savoir ce qui faisait mal aux gens. Le gorille
n’eut pas le temps de se redresser que déjà, il s’effondrait la
gorge tranchée. Deux secondes. Sa femelle n’eut même pas le temps
de comprendre que son jules venait d’y passer que déjà j’avais
ramassé la tronçonneuse et la lui balançait droit dans la face.
Quatre secondes. Agent L7 : 1 – La Planète des Singes :
0.
- T’avais
déjà pas une gueule de porte bonheur à la base, déplorais-je en
retirant l’instrument de jardinage de la masse écarlate qui lui
avait servi de visage.
Il ne restait plus que moi et le
gentil Docteur. Ce génie du Mal d’opérette était en train de
pleurnicher en rampant misérablement le plus loin possible. Son
cerveau, autrefois brillant, avait du se faire la malle devant tant
de violence gratuite. J’avais déjà vu ça avant… souvent. Il
marmonnait des choses incompréhensibles. Je fis vrombir une nouvelle
fois la tronçonneuse. Quitte à le buter, autant que ça soit fun.
Il se tourna vers moi, se mit à genoux et me lança des poignées de
terre.
- Ne me touchez
pas avec vos sales pattes, maudit humain !
Comme si j’avais ramassé la
tronçonneuse pour faire ça à la main.
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