Agent L7 - Vivre et Laisser Moisir
Vivre et
Laisser Moisir
Ne jamais faire
confiance! C'est une règle dans ce métier. On recrute un gars en
freelance, on arrose quelques officiels, on soudoie la police locale,
on corrompt l'armée, mais vous pouvez être sûrs qu'un petit malin
voudra s'en mettre un peu plus dans les poches que les autres.
Santa Verde est l'état
insulaire le plus pourri de la création. Un ersatz de Cuba qui pense
pouvoir un jour jouer dans la cour des grands. Officiellement
communistes, les Santa Verdiens ont du trouver d'autres moyens de
faire chauffer la marmite: drogues, trafic d'armes, prostitution...
L'île est vite devenue la plaque tournante de tous les vices et un
paradis pour les touristes.
J'devais éliminer un
politicien véreux qui couvrait un réseau de traite des blanches. De
jeunes américaines étaient enlevées et, après un passage éclair
à Santa Verde, on retrouvait leurs petits culs dans les bordels de
la frontière mexicaine. Malheureusement -pour lui, ça va sans dire
- il avait sans le savoir participé au kidnapping de la fille d'un
mec auquel on devait pas toucher. La mission s'était déroulée avec
sang-froid, minutie, diplomatie et barbarie. De quoi faire
fonctionner un trafic d'organes pendant quelques mois...
Le D.E.A.D avait un
contact qui devait me faire quitter le pays. Un ancien para ukrainien
qui coulait une douce retraite en vivant de tequila et de pots de
vin... J'suis allé en Ukraine une fois. C'est pourri. Il fait froid,
les gens sont tous armés et ça sent le chou. Bref... ce chien
m'avait vendu.
J'attendais le bateau
qui devait me rapatrier lorsque cinq jeeps et un hélico de la police
militaire ont déboulé. Des soldats en chemisettes vert foncé m'ont
mis en joue. Y'en avait partout, comme des rats sur une carcasse de
chat mort. Mes doigts me démangeaient mais je sais reconnaître
quand une baston est perdue d'avance. J'aurais à peine troué la
peau de dix de ses tarlouzes que leurs petits copains m'auraient
transformé en passoire. J'avais assez vu Scarface pour pas vouloir
en rejouer la scène finale.
*
Le système pénal de
Santa Verde en est encore au stade médiéval. Non, pire! Au stade
texan. Pas de jury, pas de d'avocat, pas de paperasse ni
d'extradition qui tiennent. Juste un mec déguisé en juge qui vous
annonce le verdict. Je devais être pendu un mois plus tard. En
attendant, le gouvernement m'offrait un séjour all-inclusive à Pena
Negro, prison monolithique dominant la côte sud de Santa Verde.
L'enfer sur Terre à ce qu'on en disait. J'avais hâte de voir ça.
*
Quand vous arrivez en
taule, les gardiens essaient toujours d'impressionner les petits
nouveaux. Ils repèrent celui qui a la plus belle tête de rebelle et
ils jouent les durs. Je débarquais en compagnie de voleurs de poules
et autres mendiants s'étaient fait arrêter pour avoir voulu voler
de quoi manger. C'était logique qu'ils me choisiraient moi. Les
pauvres... J'étais pas là depuis une demi-heure qu'on m'avait déjà
collé en isolement. Parait qu'il a fallu toute une équipe
d'éminents proctologues pour retirer la matraque du gardien-chef de
là où je l'avais mise.
J'ai rejoint le reste
des taulards après une semaine passée au trou. Ici, on appelle ça
la Cavidad Oscuro. Pena Negro avait été construite sur les restes
d'un ancien monastère et on collait les fauteurs de troubles dans ce
qui restait des cellules de méditation. "Cellule" est un
bien grand mot pour désigner un trou poisseux avec une grille en fer
forgé rouillée pour toit. A marée haute, la mer venait me rendre
visite et des cafards gros comme le poing aussi affamés que moi
essayaient de me boulotter les orteils quand je fermais l'oeil. M'en
foutais! C'était ça qui était censé me faire rentrer dans le
rang? Je ne pensais plus qu'à une seule chose: combien de vieux
moines ventripotents s'étaient tirés sur le poireau ici-même?
Le directeur pensait
peut-être m'avoir mis au pas, mais il se trompait. Il restait trois
semaines avant mon exécution. Un jour, au réfectoire, un gus a
voulu me taxer mon assiette de frites. Sans doute qu'il voulait me
montrer qui était le boss. A croire que personne avait compris.
Bref... je venais de bouffer de la vermine crue cinq jours de suite.
Je lui ai envoyé mon plateau dans la tronche. Un nez qui se brise
fait le même bruit qu'un pneu qui éclate, le sang en plus. J'étais
en train de manger mes frites en les trempant dans le simili de
ketchup qui pissait du pif de mon nouveau pote quand les gardiens
s'ont venus m'embarquer.
J'ai été trainé
jusqu'au bureau du directeur. Autant dire qu'il était furibard ce
vieux tas de saindoux au parfum de cigares de contrebande. Faut le
comprendre, il est payé en fonction du nombre de ses ouailles. Au
rythme où j'étais parti, son train de vie allait vite dérailler. En
plus, à Santa Verde, un directeur de prison qui fait mal son boulot
peut bien vite se retrouver derrière ses propres barreaux. Vous
parlez d'une pression!
- J'ai avancé ta date d'exécution, m'a-t-il
annoncé. Tu seras pendu demain à l'aube, hijo de puta!
- D'accord, ai-je répondu. Ça me laisse toute la
soirée pour me casser d'ici. D'ailleurs, j'ai un plan.
Les gardiens crurent à
une bravade. Bande de cons!
- Et j'en profiterais pour vous faire la peau!
ajoutais-je en sortant.
Comme si le D.E.A.D, mes
employeurs, allait laisser leur meilleur agent de terrain moisir au
fond d'un remake de Midnight Express mâtiné de West Side Story...
Quoique... Après tout, ils en étaient bien capables ces salauds.
J'ai pas eu longtemps à
attendre pour savoir enfin dans quelle estime j'étais tenu par mes
patrons. Je roupillais peinard dans ma cellule quand j'entendis des
coups de feu et le bruit de mixer des pales d'un hélicoptère. Le
plus doux réveil-matin que je connaisse! Des cris déchiraient la
nuit. Mes codétenus étaient déchainés. Un mur explosa, couvrant
le carrelage de tripailles en provenance des gus qui avaient eu le
malheur de se trouver trop près de l'explosion. Les barreaux de ma
cellule ont volé en tous sens comme un jeu de mikado. Quatre mecs en
tenue de commando ont déboulé autour de moi dans un nuage de
poussière. J'aurais reconnu le petit cul rebondi du chef du groupe
en une seconde.
- Ivana...
- Commandant Bridge! rectifia-t-elle.
- Désolé.
- Tes "vacances" t'ont fait oublier la
discipline on dirait.
- Des vacances? Ouais, c'est un vrai Club Med ici...
les tentatives de viol sous les douches en supplément.
Elle sourit. Allez
savoir pourquoi. Cette gonzesse doit bien être ce qui se fait de
plus pervers et détraqué parmi la gente féminine. Comme moi, sauf
qu'elle a des nichons.
- T'as quand même foutu une belle merde,
soupira-t-elle.
- On a déjà fait pire.
- Oui, mais ça n'a jamais été à moi de venir de
tirer toi-même de la fosse à purin où tu t'es enlisé. Le
personnel compétent ça ne se remplace pas comme ça, figure-toi.
- En parlant de personnel compétent... y'a un
dernier tit truc que je voudrais faire avec qu'on se casse d'ici.
Mon évasion avait été
le coup d'envoi d'une émeute digne de "Haute Sécurité"
avec Stallone. Les quelques matons qui n'avaient pas encore fini en
torche humaine avait fui Pena Negro comme si tous les démons de
l'enfer leur collaient aux basques. Des dizaines d'assassins, de
violeurs et de détraqués qui n'avaient que peu de choses à
m'envier battaient maintenant la campagne à la recherche de chair
fraiche. Y'avait des cadavres et des mourants dans tous les coins.
Les prisonniers trucidaient tous les gardes qu'ils croisaient et les
gardes qui étaient suffisamment armés dézinguaient tout ce qui ne
portait pas un uniforme marron. J'avais récupéré un flingue et une
hache dans un local incendie où l'infirmière finissait de se vider
de son sang et je suis allé défoncer la porte du dirlo. Ce tas de
saindoux suintant tremblait comme une loque, accroupi derrière son
bureau. Il chialait ! C'était presque drôle. Ses larmes et sa
transpiration trempaient sa chemise. La pièce schlinguait la peur, à
croire qu'il s'était fait dessus. Son regard paniqué se posa sur
moi.
- Vous me remettez ? dis-je.
- Madre de Dios...
Son visage couleur de brique vira au blanc. Là j'en
étais sur. Il venait de se chier dessus.
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