Je
ne me souviens même plus de mon nom. De mon vrai nom je veux dire. A
quatre ans, j’ai été enlevé par un organisme gouvernemental
secret (le D.E.A.D – Directorate of Enemies’ Annihiliation and
Destruction). En fait, Angus Killdare, responsable en chef du
D.E.A.D, avait ordonné l’enlèvement de dizaines d’enfants de
par le monde pour en faire des agents secrets surentraînés et
composer par la même occasion une armée de jeunes tueurs et de
machines à détruire qui lui seraient tout dévoués. On m’a
torturé jusqu’à ce que mon corps ne réagisse plus à la douleur.
Mes souvenirs ont été effacés pour être remplacés par des
méthodes pour tuer. Le sang c’est surtout de l’eau, toute ma
mémoire disparut comme lavée. J’oubliais mes parents, mes amis et
tout ce que j’avais aimé. Je ne savais plus qui j’étais. Je ne
répondais plus qu’au nom de L-7.
Une fois les mois de
« conditionnement » passés, je bénéficiais d’une
certaine liberté. En dehors des heures d’entraînement, je pouvais
circuler librement dans les installations de ce que nous appelions
« La Fosse ». Une fois par mois, nous avions même la
permission de faire une virée dans la ville voisine où je m’amusais
à me confectionner des colliers avec des langues et des oreilles de
clochards. Pourquoi aucun « agent » ne se sauvait ?
Il faut dire que les équipes scientifiques du D.E.A.D nous avaient
implanté des micro-bombes à la base du crâne qui se déclenchaient
si on essayait de se faire la belle. On dira ce qu’on voudra, mais
y’a des gens qui savent se faire obéir !
Les semaines passaient, je me
suis mis à aimer cette vie. Qu’aurais-je pu faire d’autre ?
Certains de mes camarades se rebellèrent et devinrent nos cibles
dans les exercices de combats à balles réelles. « Non, non,
Sept, ne tire pas pitié ! » BOUM… C’est pas parce
qu’on a grandi ensemble que j’ai pas envie de voir la couleur de
tes tripes. J’étais l’un des meilleurs, j’excellais.
D’ailleurs je me prêtais volontiers aux diverses expériences
qu’on voulait me faire subir. Je savourais des drogues énergisantes
qu’on me faisait tester. Je passais des heures dans des simulateurs
de combats ou sur des tables d’opérations dans le cadre
d’expériences sur la régénération des tissus. Pour ne rien vous
cacher, quand j’étais seul, j’allais même jusqu’à
m’auto-torturer. Je voulais savoir comment infliger un maximum de
souffrances, pour être prêt quand on me confierait ma première
mission.
Et cela arriva : ma
première mission ! C’est à ce moment que l’histoire
devient flippante au point d’avoir des échantillons de sel dans le
calcif. A cette époque, je me prenais pour Don Johnson de Deux
Flics à Miami. Le
D.E.A.D nous envoyait, moi et Roberts et Earnest, deux autres agents,
dans un hôtel de San Diego pour récupérer un scientifique en
cavale. Il faut avouer que Killdare aimait pas trop les démissions
et qu’on quittait le D.E.A.D dans une caisse en bois ou un sac
plastique.
Pour ma part, j’étais blasé.
Je m’attendais à autre chose pour mon baptême du feu. J’avais
l’impression d’être un chien à qui on avait dit « Rapporte ! »
et je devais le faire sans me poser de questions. J’étais si déçu
que je laissais le sale boulot à Roberts et Earnest pendant que je
me bronzais dans la bagnole. Tout devait se passer comme une fleur.
C’était l’affaire de dix minutes maximum.
Au bout de quinze minutes, j’ai
balisé. Les gars auraient du être revenus avec le savant. C’est à
ce moment là que j’ai vu un truc tomber du dix-septième étage.
Ce truc, c’était l’agent Roberts. J’étais HEU-REUX. J’ai
mis un caniche dans un micro-ondes une fois, pour voir. La tête de
Roberts a fait le même bruit en rencontrant le bitume.
J’ai alors compris qu’il
allait falloir régler le problème tout seul. Je suis entré dans le
hall de l’hôtel. Un petit groom boutonneux s’approcha de moi :
- Des bagages
monsieur ?
Sur le coup,
j’ai cru qu’il disait « Tueur à gages ». J’ai pas
cherché à comprendre. J’ai sorti mon flingue et j’ai redécoré
le hall avec ses tripes.
En arrivant devant l’ascenseur,
j’ai croisé une nana habillée en noir de la tête au pied. Super
bandante la gonzesse ! C’est là que j’ai pigé. J’aurais
pas dû faire confiance à Roberts et Earnest. C’étaient déjà
pas le genre de mecs qui avaient beaucoup de cervelle, mais là
c’était vraiment le cas d’Earnest. Quelqu’un lui avait logé
une balle en pleine tête. Le petit génie idem : je l’ai
retrouvé dans sa suite, le cervelet étalé sur la moquette.
C’était un coup monté !
Quelqu’un nous avait devancé et il voulait qu’on sache qu’il
nous avait doublé. Le seul indice que j’avais, c’était cette
fille en noir que j’avais vu sortir de l’ascenseur où j’avais
trouvé Earnest. J’aurais tout fait pour en savoir plus. De retour
à la Fosse, j’ai torturé quelques agents de notre équipe de
renseignements. Ils ont beaucoup crié, mais ils ne savaient rien.
J’étais vraiment fier d’eux et j’insistai pour les enterrer
moi-même. Je repris tant bien que mal mes activités jusqu’à ce
qu’on me file une nouvelle mission. Cela arriva deux mois plus
tard. C’est là que l’histoire se corse.
Cette fois-ci, je bossais en
solo. Killdare m’avait filé l’adresse en Louisiane d’un
laboratoire qui fabriquait une nouvelle drogue. Je devais récupérer
la formule et éliminer les témoins. En arrivant sur place, j’ai
été assez surpris de trouver une église. Mais bon, on est jamais à
l’abri des surprises dans ce boulot.
J’ai fait une entrée à la
Rambo (à l’époque, c’était la mode). Après l’histoire de
San Diego, j’aurais pas fait confiance à ma propre mère… même
si je l’ai jamais connue. J’étais venu pour me défouler,
m’éclater… et quelques crânes par le même occasion. Craven
avait omis de me dire que les bonnes sœurs et les petits pères
étaient tous des tueurs. J’étais à peine rentré qu’ils se
sont mis à me tirer dessus.
Je m’en fichais d’ailleurs.
J’avais une drôle d’impression dans la tête. Un souvenir !!!
Il était assez flou, mais je comprenais que j’avais dû avoir des
embrouilles avec ces grenouilles de bénitiers. Alors, j’ai pas
cherché à comprendre. Je me suis vengé. Genre : Qu’est ce
qui est noir et blanc et qui se trémousse ? Réponse : Une
bonne sœur qu’on canarde. Après tout, j’étais en mission, mais
rien m’empêchait de joindre l’utile à l’agréable. Quand le
nuage de poussière s’est enfin dissipé, tout le monde avait
rejoint le Bon Dieu. On dira ce qu’on voudra, mais les films de
Stallone sont une sacrée formation pour ce qui est de flinguer à
tout va. La voie était libre à présent, je me suis mis à chercher
ce pour quoi j’étais venu.
Il y avait un cadavre calciné
près d’une porte secrète cachée derrière le confessionnal.
C’était un évêque. Il avait plus de tête, mais le rosaire était
un indice évident. J’ai pigé qu’on m’avait doublé… encore.
Le passage secret menait à un labo bourré de macchabées. Plus de
drogue. Plus de formule.
C’est à ce moment là que
j’ai entendu un hélico. Je me suis rué dehors pour le voir
décoller. La fille en noir ! Elle était aux commandes. J’ai
vidé mon chargeur sur l’appareil, mais elle s’est tirée quand
même. Craven allait me castrer avec une pince et des tenailles pour
avoir perdu les champignons psychotropes cultivés dans le labo. La
moindre des choses, c’était d’effacer mes traces. J’ai balancé
des grenades à fragmentation dans la sacristie, la nef et dans la
plupart des recoins. Le prêtre grillé a un parfum d’ozone et de
spaghettis brûlés. Un échec reste un échec, mais au moins je me
suis vraiment éclaté.
Killdare était pas très
content de mes résultats. Il faut dire qu’il aime pas ne pas
obtenir ce qu’il veut. Lorsqu’il m’a convoqué dans son bureau,
je tremblais dans mes loques à l’idée de ce qu’il pourrait me
faire.
- Ton taux de
réussite est inacceptable, Sept, a-t-il dit. Deux échecs coup sur
coup… Pourquoi ?
- La fille…
la fille en noir…
J’étais
incapable de dire ou penser autre chose.
- La fille en
noir… J’en ai marre de cette nana. Sept, tu vas la trouver et la
tuer.
J’étais aussi heureux que le
jour où on m’avait permis de garder mon couteau quand je
quittai la Fosse. J’allais trouver la fille en noir. Je voulais lui
trancher l’aorte, l’accrocher à une esse de boucher, la saigner
et l’achever en lui énucléant les yeux au couteau à beurre.
J’avais déjà une idée.
Pendant trois jours, j’ai mis
au point mon plan. J’allais me la faire et elle comprendrait que
qui s’y frotte s’y pique. Il ne me manquait que le fromage
adéquat pour attirer cette souris.
Aux débuts du D.E.A.D, il y
avait un type – Baxter Fly – qui avait disparu des années plus
tôt avec quelques secrets et que tout le monde croyait mort.
Cependant, tout le monde se battait pour trouver la preuve de cette
mort. J’ai fait courir le bruit que je savais où était le corps.
Il y aurait une fuite et la miss en noir se radinerait « par
l’odeur du fromage alléchée ». Bien sûr, c’était pas le
squelette du vrai Baxter que j’avais. C’était celui d’un nain
qui travaillait dans un cirque que j’avais aspergé de peinture
phosphorescente. Elle n’y verrait que du feu… Enfin, peut être
pas, mais ça ferait illusion le temps que je la chope. Je me
planquai avec le squelette dans une cabane au fond des bois. Le piège
était tendu. Il suffisait d’attendre et attendre encore.
Elle m’a fait poireauter trois
jours avant de débarquer comme une fleur. On aurait dit la fille de
Mata Hari et de James Bond. Elle a à peine eu le temps de réaliser
que c’était un faux que je l’avais déjà en joue. Elle s’est
tournée vers moi en levant les mains. Je croyais que je pouvais pas
la louper quand une sorte d’éclair traversa la pièce en venant
vers moi. Cette chienne avait un laser planqué dans sa bague. Ras le
bol de ces gadgets d’espions à la con ! Mon œil a explosé
dans son orbite. Je dois vous dire que depuis le D.E.A.D l’a
remplacé, même si j’ai pas osé demandé d’où venait cet œil.
Il paraît que mon cerveau aurait aussi été atteint.
Personnellement, j’ai rien remarqué.
Enfin bref, avec l’œil qui
fumait et le cerveau qui bouillait, j’ai oublié mon plan et j’ai
tiré, tiré… Des éclairs dansaient devant mon œil valide et je
ne savais plus où elle se trouvait. Quand j’ai été à court de
munitions, elle a saisi le fémur du nain, m’a sauté dessus et a
arraché ce qui restait de mon œil dans son orbite calcinée. Jamais
quelqu’un d’autre que moi ne m’avait fait aussi mal. La plupart
des petites vieilles que j’avais agressées auraient été vertes
de jalousie.
Je m’amusais bien, mais il
était temps d’en finir. Elle essayait de m’étrangler. J’ai
mis un coup de dents dans son bras. Puis un coup de tête dans le
nez. Et un second, pour le fun. Trois coups. Elle s’effondrait à
mes pieds. Tout bien pesé, elle était pas si coriace que ça la
nana. J’étais sur le point de la tuer quand j’ai réalisé qu’il
faudrait p’tet savoir pour qui elle bossait.
Comme elle voulait rien
dire, on est allé voir quelqu’un qui aurait fait déclamer un
mort. Je la traînais par les cheveux jusqu’au bureau de Craven.
C’est à ce moment là que j’ai plus rien compris. Je jetais la
fille en noir aux pieds du bureau de Craven. Elle se releva
péniblement et se mit au garde à vous. Et là, pour la première
fois de ma vie, j’ai entendu Killdare rire.
- Repos Colonel
Bridge, a-t-il dit. Sept, je te présente ton nouvel officier
supérieur : Ivana Bridge. Considère que tu viens de paser une
sorte de test qui avait pour but de voir si tu étais à la hauteur
pour entrer dans son unité.
Ce que je déteste le plus dans
le fait de bosser au D.E.A.D, c’est cette impression persistante et
malsaine de n’être qu’un pantin…
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